INTRODUCTION
Parmi les troubadours du Périgord, GUILHEM DE LA TOR est assurément le plus oublié et le plus méconnu dans son propre pays berceau de la lyrique médiévale occitane.
Si son oeuvre a fait l'objet de nombreuses traductions en allemand, en Anglais, en italien, en espagnol ou en roumain, il n'existe - à notre connaissance - aucune traduction française de ses poèmes1 ; seuls Rochegude, Raynouard, Chabaneau et Jeanroy citent brièvement des extraits de ce poète, que l'
Ce sont les romanistes italiens qui ont le mieux et le plus longuement étudié la vie et l'œuvre de notre troubadour : Ferruccio Blasi en donna en. 1934 une parfaite et intégrale édition critique avec traduction italienne2. Il y a certes de bonnes raisons à cette prédisposition à l'étude de ce poète par les spécialistes des langues romanes en Italie : une grande partie de la vie et de l'œuvre ce notre troubadour concerne les terres d'au delà des Alpes où il séjourna longuement auprès des cours Lombardes chantant les mérites de ses protecteurs et louant la beauté de leurs dames.
Guilhem de La Tor méritait, cependant, un meilleur sort dans son propre pays, car son œuvre est loin d'être négligeable, même si elle demeure mineure au regard de celle des illustres maîtres du trobar, elle témoigne de l'universalité d'une civilisation et de son prestige inégalé en Europe.
En vérité, nous ne savons rien de précis, du point de vue historique, sur la vie de Guilhem de La Tor, sa biographie est romanesque : en particulier en ce qui concerne son amour qui est confirmé dans le partimen échangé en Italie, avant 1225, entre Guilhem et Sordel (XIII) "Uns amies et un 'amia) notamment dans le premier couplet où Guilhem soutient que l'amant serait tenu pour fou, s'il mourait pour sa dame défunte, on s'étonne que Blasi se soit demandé si la vida n'a pas été "del tuto inventata" ou si elle se base "su qualche testo andato perdudo" la référence à ce texte semble bien lui avoir échappé.
Bien évidemment la tradition a brodé sur le texte et la fiction probablement dépassé la réalité. Notons, dans l'oeuvre ce notre troubadour un accent douloureux qui pourrait justifier le ton général du petit roman invraisemblable de sa vie... mais la poésie médiévale d'Oc est souvent marquée par un tel accent !
Guilhem de La Tor était originaire de La Tour Blanche (Turis Alba), château situé prés de Ribérac en Dordogne (et non du château de La Tour, commune de Sainte Nathalène, canton de Sarlat, comme l'affirme ,dans sa mégalomanie sarladaise le digne l'
Nous ne savons rien de lui avant sa venue en Italie, avant 1216, date à laquelle il semble raisonnable de situer la composition de son poème "LA TREVA".
En contact avec de nombreux seigneurs, il vécut de cour en cour selon la coutume des jongleurs, cherchant le meilleur protecteur comme il l'exprime dans plusieurs de ses poèmes. On peut déduire de quelques passages et mieux encore de l'esprit de son œuvre, qu'il visita les cours des Comtes de Biandrate (XII) de ceux de Romano (XIII) des Estensi (VIII - XI) et peut-être des Malaspina (IX - XIV).
Restori souligne sa présence auprès d'Ottone del Carretto, parmi les témoins d'un acte notarial en novembre 1233... Sa biographie signale ses séjours à Milan et à Côme, en 1233 on perd sa trace en Italie, après la mort de Giovanna d'Esté destinataire de la poésie VIII (Canson ab gais motz plazens).
Il vécut si longtemps en Italie, où il mourut probablement, qu'il fut même pris pour un italien : rien ne peut justifier l'identification avec Gugliomo del Dui, proposée par Levy et Schultz, troubadour rencontré à Brescia et que Guilhem Figueira appelle "lo maestre d'En Sordel".
Les poésies de Guilhem de La Tor peuvent se diviser en deux parties principales : les poésies d'amour e: les pièces de circonstances toutes écrites en Italie et conditionnées par les aventures personnelles du poète dans ce pays. Pour plus ce facilité, nous avons adopté le classement de l'édition critique de Ferruecio Blasi3, dans le premier groupe qui comprend huit compositions, six sont d'authentiques chansons d'amour (II - III - IV - V - VI - VIII) la chanson I étant une "mieja-canso" et la VII une brève poésie réaliste et sensuelle."
Les six autres poèmes composés sûrement en Italie témoignent de la vie du troubadour et de ses relations avec ses protecteurs, parmi eux nous trouverons un déscort (IX), deux sirventès (X-XI), deux tensons (XII - XIII) et la fameuse "Tréva'" (XIV)
Dans ses poésies amoureuses, notre troubadour ne fait que répéter les thèmes communs traditionnels de la poésie courtoise ; plus encline à la mélancolie qu'à la joie de l'amour sa poésie veut la sincérité du sentiment et voit dans la souffrance une grande preuve d'amour : si elle célèbre le Fin Amor, louange "fins"' blâme les "fals", elle n'est pas moins dénuée d'amour sensuel ; dédoublement certain, entre sensualité et chasteté, comme il en est du reste peur la plupart des troubadours.
Si nous prêtons attention à sa biographie, nous pouvons considérer qu'à côté du conventionnel, le poète sait faire preuve de sincérité lorsqu'il traite des états d'âme que l'amour détermine dans le coeur des amants. Il sait tisser des éloges à la beauté et à la grâce féminines de la manière la plus typique et la plus aimable dans le grand style de la poésie courtoise ; comme il saura s'emporter avec violence, et parfois vulgarité, contre les puissants ou les seigneurs qui lui refusent aide et protection.
Guilhem de La Tor est tout particulièrement lié à l'Italie par son poème "La Treva" (XIV), qui, s'il ne vaut peu ou rien (comme le note Blasi) du point de vue artistique "(étant une aride énumération de noms féminins sans le moindre accent poétique" ), vaut beaucoup en tant que document d'histoire littéraire : tout laisse supposer que cette pièce qui servit à égayer les réunions aristocratiques des cours de l'époque dut avoir un grand succès, notamment dans le monde féminin.
Ce poème a pour objet de glorifier les belles dames d'un lieu donné, protagonistes d'un tournoi imaginaire : genre très répandu en Occitanie et en France, les plus célèbres étant le "Tournoiement de Dames" de Huon d'Oisi et les poèmes de Raimbaut de Vaqueyras ou celui aujourd'hui perdu d'Aimeric de Peguilhan (Meslança e batailla) qui sont peut-être à l'origine de la légende des cours d'amour !
Guilhem de La Tor fut un jongleur, élevé au rang des troubadours, selon la coutume il faisait précéder ses chansons de longs préambules, sa langue ne présente pas de particularité, le vocabulaire est assez pauvre, nombreux sont les mêmes mots, les mêmes expressions répétés dans plusieurs poèmes ; la forme poétique est dans l'ensemble inspirée du "trobar clar" à l'exception de la poésie IV (Si mos fis cors fos de fer) où s'affirment quelques préciosités de style, ce qui ne la place pas dans le "trobar dus" malgré la différence qu'elle marque avec l'ensemble du style du poète, on notera également la fréquence de l'hiatus.
Poète de cour et poète populaire par sa langue et son style, Guilhem de La Tor méritait d'être tiré d'un injuste oubli, en présentant son œuvre aux amateurs et aux érudits de notre Périgord, nous avons la satisfaction d'achever en cette fin de siècle la tache entreprise par nos illustres prédécesseurs et maîtres du Bornât, Camille Chabaneau et René Lavaud : publier et faire connaître les œuvres de nos troubadours, nous espérons avoir ainsi rendu plus présente la poésie médiévale occitane4.
Frascati 1956 - Franc Saint Magne 1991-Jean MonestierRéférences:
1. Marcelle d'Herde-Heiligcr : Répertoire des traductions des œuvres lyriques des troubadours des XIe au XIII siècles - Béziers CIDO & Liège IPERB 1985 (p 199 a 201)
2. Ferruccio Blasi : Le Poésie di Guilhem de La Tor - Olschki Genève / Firenze 1934 (Biblioteca dcll "Archivum Romanicum" - vol. 21 - 80 pages).
3. Alfred Pillet et Henry Carstens : Biographie der Troubadours - Burt Franklin - New York 1968 (p. 197 a 199).
4. Nous nous sommes attaché i traduire en français l'ensemble de l'œuvre de Guilhem de La Tor, ayant recours à divers documents : les (manuscrits de la Bibliothèque Vaticane : Lat- 5232 -3206 / et fonds Chigi ref LIV 106- les Archives du château de Merville( Haute Garonne) L'édition critique italienne de Ferruccio Biasi, dont nous avons adopté le classement. Pour élucider certains passages particulièrement obscurs, nous avons eu recours aux traductions, espagnole de Marti de Riquer et roumaine de Bosca C'est volontairement que nous n'avons pas retenu trois pièces signalées par Barisch et Mahn, dont l'attribution a notre poète est généralement considérée comme douteuse : "Aissi com cel que tem qu'amors l'ancia'". (A. de Marueil). * B/n cuidava d'arnor garda/ (Richart de Berbezill) - • Toct francamen, domna, veing denan vos" (Peire de Barzac)
Remerciements
Nous tenons à exprimer notre gratitude à tous ceux qui par leur aide ou leurs conseils nous ont permis de mener à bien ce long travail.
· Le Conseil Général de la Dordogne et le Ministère de la Culture qui ont contribué par leur participation à l'édition de ce volume préparé sous les auspices du Comité du Périgord de la Langue Occitane.
· Le Comte Pecci, à Rome, qui favorisa notre visite à la Bibliothèque Vaticane.
· Le Marquis Louis de Beaumont qui nous ouvrit si souvent sa riche bibliothèque et ses archives du Château de Merville.
· Madame Eliane Bec-Gauzit et l'Institut d'études Occitanes de la Vienne à Poitiers.
· Monsieur Paul Courget, directeur des Annales de l'Académie des lettres et des Arts du Périgord.
· Monsieur Thomas Stelh, professeur à l'Université de Paderborn (RFA) et Madame Rosaria Faretina-Stelh.
· Monsieur François Pic, directeur du Centre International de Documentation Occitane à Béziers.
· Monsieur Paul Nougier, directeur du "Rampau d'Oulivié" à Marseille.
- Mademoiselle Parano, professeur à Marseille.
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